Janvier 2014

Publié par: Philippe Delmotte - - Publication: 20/01/2014 - Mise à jour: 13/02/2014 - Vues:

L'information en ligne au-delà des écrans

Programme:

Panorama des TIC l’info par les nouvelles technologies
  • Alain Gerlache - RTBF / ULg

Tous journalistes? La participation des non-professionnels

  • Arnaud Wéry - L’Avenir

Langages et écriture spécifique web?

  • Sylvain Malcorps - Apache.be / ULB

Table ronde: les forums des médias

  • Vincent Genot - Le Vif
  • Joël Tricart - Sud presse
  • Yves Collard - Média-Animation
  • Catherine Soudon 

 Pistes pédagogiques pratiques

  • Sophie Lapy et Jehanne Bruyr - ACMJ
Journée des profs relais, professeurs dans la salle     Les professeurs assistent à la journée des pros relais

Compte-rendu

Auteur: Michel Clarembeaux
 
Nous nous réjouissions de cette nouvelle journée proposée aux « Profs Relais » (Tihange – 10/01) et consacrée à la presse en ligne et à son intégration pédagogique. Nous n’avons pas été déçus, à la fois par le nombre de collègues présents – une quarantaine – et par la qualité des interventions.
 
Lors de journées précédentes, nous avions pu noter une certaine frilosité de la part des enseignants à l’égard des supports numériques proposés par la presse d’information. Cette frilosité pouvait trouver une explication dans des problèmes d’accessibilité en termes de matériel disponible ou de configuration de la salle de classe. Mais ces freins, souvent évoqués, n’étaient-ils pas surtout un prétexte à se limiter au seul support papier, sachant que la presse d’info était, il y a peu de temps encore, un objet relativement étranger aux élèves et à la classe, que ce soit dans l’approche analytique du journal papier et de l’article de presse, que ce soit dans la pratique d’écriture et dans la rédaction, par exemple, d’un journal d’école.
 
Parallèlement, il est de plus en plus évident que les entreprises de presse sont condamnées, qu’elles le veuillent ou non, à développer de nouvelles stratégies communicationnelles sur le Net et à construire une nouvelle relation « on line » avec leur lectorat en l’associant de manière plus systématique à la collecte, la mise en forme et la diffusion de l’info. Tous les ouvrages actuellement édités sur les « enjeux » et les « défis » de la presse de demain – et même d’aujourd’hui – ne cessent de le souligner.
 
Il était donc particulièrement intéressant de voir face à face le public des lecteurs/enseignants et des journalistes professionnels, eux-mêmes confrontés à de nouvelles pratiques de formulation de l’info et à une nouvelle relation avec leur lectorat, dans le cadre d’une société et d’une école de plus en plus numérique. Le point de départ de cette journée fut l’excellente intervention d’Alain Gerlache, journaliste RTBF et chargé de cours à l’ULg. On entre avec lui dans l’univers des nouvelles technologies de l’info. Il nous rappelle que dès l’apparition d’un nouvel « enfant » – radio, TV, Internet – il y a un repositionnement des médias ; c’est donc vrai actuellement avec les réseaux sociaux, mais parler de la presse en ligne c’est d’abord parler de la presse elle-même, car ce qui compte c’est bien le contenu alors que le support reste accessoire.
 
Il importe surtout de voir comment se profile aujourd’hui le paysage médiatique. Il y a un phénomène de convergence, qui explique que la TV et Twitter peuvent collaborer (voir « The Voice ») ou qu’une personne sur cinq regarde un programme TV parce qu’elle en a entendu parler sur les réseaux sociaux. De même, à côté des mesures d’audience traditionnelles, une estimation de cette audience se développe en temps réel lors de la diffusion du programme et de sa perception par les téléspectateurs. Il y a donc ici un premier feed-back, dont on peut facilement évaluer l’impact.
 
On est ainsi entré dans l’ère de la « social TV », même si cette dimension sociale a existé de tout temps.
Ce nouvel environnement médiatique laisse au téléspectateur une plus grande maîtrise de l’info, qu’il va chercher. Il est tout aussi significatif de savoir que sa tablette lui permettra d’intervenir en direct et ce « deuxième écran » est peut-être en train de devenir le premier. Accès multiples… Nous sommes plongés dans un nouvel univers multi-écrans et, par conséquent, dans des comportements « cross-platform ».
 
Quels sont les problèmes fondamentaux nés de ce nouvel environnement ? Une plus grande liberté d’abord, mais qui dit liberté dit éducation à la liberté. C’est ici que réside l’essentiel de la fracture numérique, qui n’est plus vraiment liée à l’accès aux contenus, mais à ce que l’on en fait. Ici aussi, il faut un apprentissage et l’on s’aperçoit que les familles culturellement défavorisées ne cherchent pas de nouveaux contenus et n’ouvrent pas leur horizon, dans un monde où le média devient de moins en moins important au profit des thématiques traitées.
 
Ce nouveau type d’info se décline en fonction de l’individu… « It’s my news », ce n’est plus seulement l’info mais c’est moi qui deviens mon propre rédacteur en chef. Ainsi, l’info que je choisis a-t-elle non  seulement plus d’importance que sa source – le journal choisi – mais aussi que l’information dans sa globalité ; cette info je peux éventuellement la partager. On perçoit néanmoins le danger qu’il y a à de telles pratiques qui peuvent très vite conduire à l’ignorance de chapitres entiers de l’actualité. Cette centration sur une info exclusive suscite l’apparition en ligne d’opérateurs qui s’adressent spécifiquement à un seul public, comme « Newsmonkey » se tournant vers un public plus jeune. Les gens décident ainsi de ce qui va les intéresser avant d’avoir une idée du panorama à leur disposition.
 
Mais s’il y a des tendances lourdes, il y a aussi une certaine disparité. Ainsi, Yahoo présente-t-il cette semaine un nouveau produit journalistique qui prend exactement le contrepied de ce qui vient d’être évoqué. Après avoir pris un abonnement, je recevrai quotidiennement les six ou sept informations les plus importantes, les plus partagées, et leur contenu est formulé non par des journalistes, mais par des robots, des algorithmes. C’est donc une démarche très classique, mais il est incidemment intéressant de savoir que ses concepteurs n’ont pas encore vingt ans… est-ce à dire qu’il y aura bientôt plus de robots que de journalistes ?
 
Quid des modèles économiques ? Il y en a plusieurs : spotify, le crowdfunding,… il y a aussi des modèles ou des « faiseurs » d’info s’adressant directement au public, c’est vrai pour Obama, ou Di Rupo, qui court-circuitent ainsi les journalistes.
 
En somme, on trouve dans ces tendances et ces initiatives le pire et le meilleur. Dès lors, va-t-on vers un monde sans journalistes, sans médiateurs, sans garants des sources et du contexte ? Une chose est certaine : de nouveaux modes de communication sont quotidiennement mis en œuvre, de nouvelles relations avec le public, de nouveaux rapports de force aussi. Le modèle actuel est fondé sur le rapport réseau et non plus sur le schéma pyramidal, où la maîtrise individuelle de l’info est privilégiée (voir Dieudonné sur ce point). De nouvelles donnes sont présentes où le rapport amour/haine émerge. Une première leçon à tirer de cette évolution : il faut absolument éduquer aux médias, à leur pratique individuelle et collective. Il importe aussi d’entrer rapidement dans un modèle collaboratif tout en apprenant aux gens à devenir les rédacteurs en chef de leur propre info et tout en accroissant leur esprit d’ouverture.
 
Un exposé très dense, ancré dans le quotidien des pratiques et mettant bien en évidence la responsabilité de chacun dans le processus de l’information. Les questions de la salle ont témoigné de l’intérêt suscité par Gerlache. Elles portaient notamment sur l’existence de contenus spécifiques à Internet, sur la disparition progressive d’une hiérarchisation de l’info, sur le développement de l’interactivité, etc. De tout ceci, il ressort du point de vue de la posture de l’enseignant qu’il est essentiel pour lui et ses élèves qu’il se jette à l’eau, il faut y être pour former les autres. Il est important de ne pas craindre de poser des questions et de s’attacher à mettre en perspective, à contextualiser, sans position moralisatrice ou autoritariste.
 
Le journalisme citoyen était au centre de la deuxième intervention de cette journée, celle d’Arnaud Wéry, journaliste à « L’Avenir Huy-Waremme ». En d’autres termes, est-on tous journalistes sur le web ? Et, pour la petite histoire, selon « Libération », le premier journaliste citoyen est américain, c’est l’auteur de ces images d’amateur de l’assassinat de JFK à Dallas. Emergence d’un journalisme citoyen… Il y aurait à cela une double cause : la rupture de confiance du public avec le monde de la presse professionnelle et la puissance d’Internet. Effectivement, les journalistes sont de plus en plus critiqués, à tort ou à raison, et la rapidité de circulation de l’info sur le Net, tout comme la démocratisation des moyens techniques et la facilité de collaboration sont des facteurs de la mutation que nous vivons actuellement. Il n’est donc point étonnant de voir un site comme « Agoravox », 100 % citoyen, se développer, tout comme « Rue 89 » et les blogs locaux, comme ceux de Sudpresse. Il est, par conséquent, important qu’il y ait une prise de conscience de la part des médias de la nécessité de travailler avec les citoyens et d’être plus proches des gens, car cette proximité est importante pour la collecte et la formulation de l’info.
Arnaud Wéry - L’Avenir      Michel Berhin Media animation     lvain Malcorps - Apache.be / ULB
 
Une collaboration plus étroite avec le citoyen fait aussi que le public peut apporter une valeur ajoutée à l’info. Des appels sont lancés pour un apport de documents et de compléments d’information. Ceci implique pour le journaliste une autre façon de travailler et ceci ne veut pas dire que nous allons pour autant vers un monde sans journalistes… L’enseignant et ses élèves pourraient d’ailleurs trouver dans cette collaboration un rôle important à jouer.
 
Attention, néanmoins, et c’est l’objet de l’intervention de Jean-François Dumont (AJP), la surabondance de l’info doit impliquer une sélection et une hiérarchisation de cette info, tout comme une formulation adéquate, une vérification par recoupement des sources et l’adhésion à une déontologie, à une responsabilisation sociale. En d’autres termes, on ne peut effacer le journalisme professionnel, car il faut quelqu’un qui ait été formé à la transmission et à l’encadrement de l’info. Il était bon de le rappeler…
 
La troisième intervention vient s’inscrire dans la foulée de cette problématique du journalisme citoyen, puisqu’elle aborde la spécificité de l’écriture sur le web. Son auteur : Sylvain Malcorps (ULB, Apache.be). Nous allons ici aborder les bases d’un bon article sur le web. Pourquoi ne pas s’en inspirer dans des exercices de rédaction en classe ? Les fondamentaux : un bon sujet, un bon angle d’attaque, un travail sérieux et honnête, une attention particulière portée à l’écriture et au choix du vocabulaire. Mais à ces fondamentaux viennent s’ajouter des adaptations cruciales. Elles sont au moins au nombre de trois : l’écriture, le contenu augmenté, le calibrage pour les réseaux sociaux.
 
L’écriture d’une page web diffère de celle d’un article en presse écrite. Ici, on oublie le chapeau et on présente directement la thèse de son « papier », on aère son texte avec paragraphes et intertitres, on prévoit des relances au début de chaque paragraphe pour accompagner le lecteur. On supprime aussi toute référence à une forme littéraire (comme « affirme-t-elle », « a-t-il prétendu »). C’est le règne de la concision inspirée par les 140 caractères de Twitter. Le style doit être direct, les phrases courtes, le rythme doit s’imposer. Une importance particulière est accordée au titre, qui est bien la principale porte d’entrée et doit avoir son existence propre ; il doit comporter les mots-clés, solliciter le partage, donner le ton et déjà structurer l’article, être percutant. Attention ! L’évolution des supports d’info formate l’info.
 
Parlons du contenu augmenté. Importance des hyperliens, qui sont ici les meilleurs amis. Pourquoi ? Ils contribuent au bon classement de la page, soulignent par le renvoi aux sources la crédibilité et le sérieux du texte, contribuent au jeu intertextuel. Importance également de la photo, génératrice d’engagement, parfois plus que le titre. Sur ce point, Malcorps évoque l’intérêt de la solution « creative commons », qui permet de libérer une œuvre des droits de propriété intellectuelle. Importance aussi, dans ce contenu augmenté, des graphiques et infographies, qui viennent augmenter la force de la communication visuelle et facilitent la mise en forme des données, comme dans le data journalisme.
 
Enfin, le calibrage pour les réseaux sociaux – twitter, facebook, etc. – est essentiel. Il faut donner un avant-goût, tout en sachant que certains titres fonctionnent mieux sur tel ou tel réseau. Un titre sur Internet doit pouvoir à la fois informer et accrocher, ce qui n’est pas nécessairement le cas en presse écrite.
 
Un bel exposé que celui-ci, clair et précis, pouvant alimenter la réflexion des collègues sur des exigences qu’ils pourraient avoir à l’égard de leurs élèves si le projet d’école est notamment de publier sur le Net, via une WebTV par exemple.
Jean-François Dumont - Association des journalistes professionnels     Yves Collard - Média-Animation    
 
Une table ronde consacrée aux forums sur internet succède aux interventions. Elle est animée par Jean-François Dumont et regroupe les témoignages de Vincent Genot (rédacteur en chef adjoint des publications en ligne de Roularta – Le Vif), Yves Collard (Media Animation) et Catherine Soudon (chargée de mission à la FRB et formatrice en matière de lecture critique des forums). On sait que le forum est par définition un lieu privilégié d’observation des réactions du public en ligne. Pour certains, Michel Herman notamment, le forum est un « défouloir grossier », lieu de racisme, de haine et d’insulte. L’anonymat accentue ces dérives. Comment modérer un forum ? On peut se demander a priori si les déclarations sont publiables, on peut enlever un propos a posteriori, on peut jouer sur la modération réactive en se basant sur un intervenant, on peut aussi faire intervenir une modération diffuse où la régulation jouerait par contamination.
 
Pour Genot, la suppression de l’anonymat impliquerait un gain de temps et de qualité, interdire que l’on avance masqué… Mais on perd ainsi un pourcentage important des réactions escomptées. De toute manière, il incombe au modérateur de supprimer d’office des propos injurieux et d’arrêter tout dialogue avec leurs acteurs. Collard compare le forum à une scène de théâtre. Dans le forum, il y aurait davantage un jeu d’improvisation, un caractère asynchrone, ce serait du « vrai pour du faux », la disputatio fait partie de l’ambiance, l’engagement est bien relatif, le statut des intervenants/acteurs peu clair, les répliques amplifiées. En somme, le forum est loin d’être le reflet d’une réalité sociologique et, par ailleurs, on y oublie vite les règles journalistiques fondamentales et la rigueur des sources. On n’a pas ici le sentiment d’une responsabilité éditoriale. Soudon, quant à elle, présente l’outil d’analyse critique qu’elle a mis au point avec ses élèves. Il est formé sur les trois phases suivantes : décentration, expérimentation, évaluation. Un travail de réflexion sur l’identité virtuelle au départ d’un forum dans lequel les élèves vont jouer un rôle, avec élaboration d’un profil, enjeux, alliés, etc. Un travail d’analyse aussi des mécanismes à l’œuvre dans un environnement comme le forum. Un travail d’auto-analyse et d’auto-évaluation des comportements de chacun.
 
La table ronde a également donné lieu à une séance de questions-réponses portant sur le forum comme source d’info, sur la modération d’un forum et la responsabilité journalistique qu’elle implique, sur l’intérêt d’un journal d’avoir ce genre de rubrique,… A cette dernière question, Vincent Genot du « Vif » répond tout simplement : « On y est parce que tout le monde y est ».  Une leçon importante à tirer de ces échanges : il importe de bien distinguer information et opinion. Et il est intéressant ensuite de travailler sur l’argumentation.
Vincent Genot - Le Vif     Table ronde: les forums des médias     Pistes pédagogiques pratiques - •Sophie Lapy  - ACMJ
 
La journée s’est clôturée avec une évocation de pistes pédagogiques pratiques proposées par Sophie Lapy (ACMJ). Deux tablettes avaient circulé parmi les enseignants pour que ceux-ci y consignent leur perception des enjeux pédagogiques de la presse en ligne. On retiendra de ces premières réactions les craintes traditionnelles dues aux dérives possibles, au manque de matériel ou au danger de « papillonner », mais aussi une volonté de positiver les mutations de la presse. Il importe de se « jeter à l’eau » pour accompagner les élèves dans leur découverte de ce nouveau paysage médiatique. Les opportunités offertes par la presse en ligne ne manquent pas : comparaison info papier et info web, analyse de leur contenu et formulation, création d’un site d’info avec choix des contenus, des titres, des illustrations, recherche de sites d’info alternatifs. Les enjeux éducatifs sont bien réels et les collègues en sont conscients. La frilosité s’estompe progressivement et fait place visiblement à une volonté pédagogique d’emboîter le pas à l’innovation technologique et à son incidence sur l’évolution de l’information et de la société. Le message est encourageant et l’on peut imaginer que des rencontres comme celle-ci n’y sont pas étrangères.
 
Sachez aussi qu’une autre journée « Profs-relais » est programmée le vendredi 25 avril ; elle sera consacrée à la presse sportive. Un must à la veille d’une Coupe du Monde qui sans aucun doute monopolisera l’attention de nos élèves…