Avril 2012

Publié par: Philippe Delmotte - - Publication: 03/09/2013 - Mise à jour: 24/10/2013 - Vues:

Journée de réflexion et de production sur l’usage de la presse quotidienne

Le 25 avril 2012, dans les locaux du CAF à Tihange, le CSEM, les centres de ressources (CAV-Liège, CAF-Tihange, Média animation), les JFB et l’AJP ont organisé une journée de réflexion et de production sur l’usage de la presse quotidienne avec plus de trente professeurs relais de l’opération « Ouvrir mon quotidien ». Le thème abordait les problèmes de droits. La réflexion a été entretenue par le partage d’expérience de quatre journalistes.

 Vie privée vs droit d'informer - Béatrice Delvaux

Béatrice DelvauxLa journée est lancée sur le sujet « vie privée vs droit d'informer » par madame Béatrice Delvaux, journaliste atypique, depuis 27 ans au journal Le Soir. Rédactrice en chef durant 10 ans et, depuis 2011, éditorialiste en chef,
Béatrice Delvaux place de suite le débat sur la problématique de la sphère du net qui a brisé les codes. Elle note que les jeunes, contrairement aux idées reçues, reçoivent bien l’information, mais par une multitude de canaux. Ceci nécessite un cadrage. Il faut donner les clés, rappeler les règles, le contexte, en fait: éduquer. Ce qui est le rôle de l’école car les élèves s’exposent via les réseaux sociaux et sont amenés à un moment donné à bafouer les règles.
Dans le cas de l’usage de photos intimes comme illustration d’un fait divers, madame Delvaux rappelle que le journaliste est un professionnel qui sait traiter l’information. Par ailleurs, il existe un code et un conseil de déontologie qui entend faire respecter la dignité humaine. Elle note aussi des différences de traitement de l’information privée entre la presse flamande et la presse francophone.
A un moment donné, l’information privée devient publique, par exemple quand les personnes concernées estiment elles-mêmes que c’est de l’intérêt public ou quand des personnalités publiques exposent leur vie privée pour en faire un argument électoral. Il reste que chaque cas est particulier et que les débats ne sont pas rares dans les rédactions. Il faut garder à l’esprit que l’on publie sur la vie privée lorsque c’est relevant pour la vie publique.
Concernant le droit à l’image, la nécessité d’information peut le supplanter.
Tout sujet est bon à être investigué. Madame Delvaux estime que dans le cadre d’une interview, le journaliste doit se poser deux questions essentielles : Quelles sont les questions que je pose ? Quelles sont les réponses que je publie ? Il y a des questions qu’il faut oser poser sans pour autant révéler l’information ensuite.
Pour les personnes qui se sentent lésées, il existe des recours :

  • Le courrier, le journaliste doit en tenir compte ;
  • Le droit de réponse ;
  • Le conseil de déontologie qui remet des avis et permet ainsi de construire une jurisprudence ;
  • Le procès avec à la clé des possibles indemnités et/ou une publication pour restaurer la réputation.

Identifier ou non les personnes dans les faits-divers - Philippe Leruth

En seconde partie de matinée, monsieur Philippe Leruth aborde la question de l’ « Identification ou non des personnes dans les faits-divers ». Philippe Leruth a fait tout son parcours de journaliste aux éditions vers l’Avenir il est également vice président de l’Association des journalistes européens. Il est par ailleurs très actif sur les réseaux sociaux avec un blog (http://phileruth.wordpress.com/ ), un fil Twitter (www.twitter.com/#!/phillochar ) et un mur Facebook.

Philippe Leruth rappelle qu’auparavant, les faits divers étaient remplis de coordonnées relevant de l’identité des personnes. Le journaliste recherchait ses sources auprès des gendarmes, pompiers… qui donnaient l’identité des personnes concernées et elles étaient publiées sans états d’âme. Certains journalistes usaient de ruses diverses pour obtenir les photos (encore non numériques) des victimes en s’introduisant par exemple auprès de la famille proche voire même jusque dans les funérariums. Il relève ce paradoxe : les proches donnaient spontanément beaucoup d’informations qui permettaient de dresser un portrait de la victime. Ce qui était sans doute une façon de faire son deuil ou en tout cas permettait un certain réconfort.
Les différentes expériences vécues au sein des rédactions ont conduit à établir une sorte de limite en dessous de laquelle on ne cite plus la personne. Une règle tacite. A ce sujet, un congrès s’est tenu en 1996 à Anvers et, à cette époque, on notera que le questionnaire adressé aux professionnels n’a pas permis de donner une réponse utile car pour eux cela ne posait aucun problème. Les journaux flamands utilisaient les initiales alors que les francophones usaient du nom.
Depuis l’affaire  « Julie et Mélissa » et les invitations à la délation, la publication incontrôlée de noms… la situation a beaucoup évolué. Il y a eu une forte pression du monde judiciaire pour protéger la vie privée. La restructuration de la police, plus centralisée et avec une rotation du personnel, ne permet plus une bonne connaissance des identités privées non plus. Dès lors, aujourd’hui, dans les faits divers, on ne mentionne plus les identités.
Philippe Leruth note tout de même que la pression est forte sur les journalistes web à cause de la concurrence et de l’influence due à l’instantanéité de l’information. On peut se trouver plus régulièrement en situation d’abus vis-à-vis des proches, en renforçant leur douleur. Les réactions des internautes permettent de revenir sur des choix rédactionnels. Choix qu’il convient d’assumer jusqu’au bout. Dans la profession, il y a de nombreuses règles et réflexions.
On retiendra que, quoiqu’on puisse penser des faits divers actuellement, le journaliste est beaucoup moins intrusif qu’il y a 25 ans. Le paradoxe : les gens, intégristes avec ce qui est publié dans la presse, n’hésitent pas à exposer de plus en plus leur vie privée via les réseaux sociaux ou à les utiliser abusivement lorsqu’ils sont confrontés à certains événements particuliers. Il est important d’éduquer les élèves sur leurs usages des réseaux sociaux.

Présomption d'innocence, droit à l'oubli - Jean-Claude Matgen

En début d’après-midi, Jean-Claude Matgen, chroniqueur judiciaire à la Libre Belgique aborde la présomption d'innocence et le droit à l'oubli.
La présomption d’innocence est une notion primordiale du droit qui s’adresse au monde judiciaire. Une personne ne peut être déclarée coupable qu’après jugement, une fois que les faits ont été clairement établis. Tout au long du procès, la personne est considérée comme innocente. On ne s’acharne pas. C’est aussi vrai pour les médias bien que la présomption d’innocence ne s’impose pas en droit mais en éthique. Sinon, on ne peut plus enquêter ni avoir une opinion. Il ne s’agit en aucun cas de jeter la personne en pâture au public. Mais il faut pouvoir informer.
L’intérêt pour les sujets judiciaires n’a cessé de croître au sein de l’opinion publique et les médias ont développé leur offre en la matière. La place réservée à la couverture de ces sujets a grandi avec la volonté de s’y intéresser quand ils ont une valeur sociale.
Le traitement est important. On est entraîné dans une spirale liée à l’intérêt de l’opinion publique et à la concurrence. La tendance est de suivre le mouvement, même pour les médias qui devraient se positionner avec plus de recul quitte à ne plus préserver la présomption d’innocence.
Il convient d’éviter les titres fracassants, les photos choc… tout ce qui met en péril la réputation, l’honneur, la dignité de la personne et de sa famille. La meilleure façon de régler ce problème consiste en une instance interne de contrôle. Certains parlementaires ont le projet de donner aux juges la possibilité d’empêcher des publications lorsque la présomption d’innocence est mise en danger avec le risque d’un contrôle excessif de la presse et du travail du journaliste.
Entre parenthèse, le secret de l’instruction concerne les magistrats et les enquêteurs mais pas le journaliste. Celui-ci a un devoir premier de donner une information la plus complète possible sauf si la révélation peut mettre l’enquête en péril.
Le droit à l’oubli est un véritable problème. Il ne faut pas non plus que cela mène au négationnisme. Un travail pédagogique est à faire notamment quand la loi permet de demander une libération conditionnelle et que la presse s’acharne sur certains condamnés.
On peut aussi citer le droit à la réparation. De nombreux organes de presse, même les plus respectueux, ont parfois tendance à développer de façon spectaculaire un fait alors que quand un non-lieu est prononcé, le développement est beaucoup moins important.

Dessins de presse et tabous - Nicolas Vadot

L’humour caractérise la dernière intervention de la journée lorsque Nicolas Vadot, dessinateur de presse et journaliste propose la projection d’une trentaine de dessins sur le thème « Dessins de presse et tabous ». Il dessine pour le Vif/l’Express depuis 93 et l’Echo depuis 2008. Il a publié plusieurs livres notamment « Dessins sans frontière » et « Casse-toi pauv’ con ! ».
Nicolas Vadot estime qu’un dessinateur de presse doit pouvoir lire, commenter et interpréter l’information, être complice avec le lecteur et le comité de rédaction. C’est le Canada Dry du journaliste. L’humour est un moyen pour véhiculer des idées, pour toucher l’inconscient du lecteur, pour capter aussi l’inconscient collectif. Un dessin ironique est le miroir du lecteur. Un dessin doit pouvoir susciter le débat. Le dessin permet aussi de vulgariser l’actualité, de « faire arriver » à l’actualité d’où son usage dans les écoles.
Nicolas Vadot reconnaît le poids économique et commercial du dessin  de presse qui est une sorte d’attrape jeunes.
Le dessinateur qui fait du dessin politique doit l’assumer. Il critique mais doit également accepter les critiques.
Les nouvelles technologies permettent au dessin de faire le tour du monde mais ceci engendre des contraintes supplémentaires car ce qui nous fait rire ne fait pas forcément rire tout le monde. La responsabilité éditoriale n’en est que plus forte.
La censure existe au sein des rédactions et ce qui en est l’objet le plus fréquent, c’est la religion, la royauté, les enseignants, la mort de proximité…

Conclusion

Isabelle Colin, synthétise la journée en mettant en évidence le point commun de toutes les interventions : l’analyse réflexive de la pratique du journaliste. La pratique est ainsi envisagée sous des points de vue éthiques, économiques, du rôle social de la presse… Dans les problématiques abordées, elle a noté le respect de la dignité humaine sans inhibition mais avec régulation. Les dispositifs mis en place se répercutent sur le contenu des médias. Elle propose aux enseignants d’aller au bout de la réflexion avec les élèves : publie-t-on ou pas ?
Elle relève finalement le travail pédagogique mené par le journaliste pour amener le lecteur au-delà de…