La parole à Pierre Fastrez

Publié par: Aude Lavry - - Publication: 13/06/2022 - Mise à jour: 13/06/2022 - Vues:

Le CSEM a décidé de donner chaque mois la parole à un expert afin de se pencher sur une question d’actualité en lien avec l’éducation aux médias. Ce mois-ci, la parole est à Pierre Fastrez, Maître de recherches au FNRS, Professeur à l’UCLouvain et membre du CSEM afin d'évoquer l’importance de la recherche dans le secteur de l’éducation aux médias.

 

Pierre FastrezLe CSEM relance, comme chaque année, son prix du mémoire et du TFE afin d’encourager et de donner une visibilité aux travaux en éducation aux médias, en quoi est-ce important ?

Je pense que c’est d’abord important de donner de la visibilité à la recherche en EAM qu’elle se fasse au niveau master ou doctorat ou dans le cadre de projets de recherches dans les universités.

Il me semble qu’aujourd’hui l’EAM, en tant que pratique qui se développe dans l’enseignement ou le secteur associatif, commence à avoir une vraie visibilité dans l’espace social. Néanmoins, l’idée que ces pratiques puissent être informées par de la recherche qui permet de mieux comprendre à la fois les enjeux, les fonctionnements, l’efficacité pédagogique de certaines initiatives etc… est encore un domaine à rendre plus visible.

Une initiative comme le prix du mémoire et du TFE permet effectivement de mettre un focus là-dessus à partir de travaux étudiant et d’encourager en même temps des travaux dans cette voie. Cela permet aussi de montrer qu’il y a matière à faire de la recherche sur ces sujets-là. Il faut savoir qu’historiquement l’EAM s’est développée grâce au travail mené par des éducateurs du secteur associatif ou d’enseignants passionnés par les médias plus que par une impulsion venant du monde scientifique. L’EAM est un mouvement qui est venu de la base, c’est-à-dire du monde enseignant et du monde de l’éducation. La recherche est venue s’y greffer ensuite et il est donc important de lui donner une place.

Qu’est-ce que la recherche en EAM peut apporter aux praticiens ?

A mon sens, il y a deux grands secteurs pour lesquels la recherche en EAM peut servir :

Le premier c’est le monde de l’éducation, que ce soit l’enseignement ou le secteur associatif des opérateurs en éducation aux médias. Dans cet univers-là, il y trois domaines qui peuvent venir enrichir et informer les pratiques éducatives et enseignantes:

Le premier domaine est celui de la compréhension des pratiques et des compétences des usagers, essentiellement les jeunes. Avec le développement du numérique, des technologies collaboratives, de l’intelligence artificielle,… qui évoluent rapidement, la recherche permet de mieux comprendre la façon dont les gens utilisent et développent des usages et des pratiques de toutes ces formes médiatiques avec une attention particulière sur les compétences nécessaires pour développer des usages autonomes et critiques.

Le second est de savoir comment évaluer, objectiver et mesurer les pratiques et compétences d’EAM. C’est une préoccupation inhérente au monde de l’éducation.

Enfin, le troisième est l’évaluation de l’efficacité des initiatives d’EAM afin de savoir quels types d’initiatives portent leurs fruits, c’est-à-dire dans quelle mesure elles développent les compétences qu’on souhaite. Historiquement, l’évaluation dans ce domaine ne s’est pas développée naturellement. Il y a un terreau très fertile d’initiatives et de projets d’EAM en FWB mais il n’y a, à mon sens, encore qu’une minorité de ces actions qui intègre une évaluation de leur efficacité. Cela nécessite donc de la recherche.

L’autre grand secteur auquel la recherche peut servir est le monde des politiques publiques.
Des recherches qui étudient les différentes politiques publiques en matière d’EAM afin de faire des études comparatives entre les pays, les contextes culturels pour voir comment elles se déploient, qu’est-ce qui semble avoir des effets propices au développement des compétences des gens… C’est un domaine de recherche qui est largement à développer et qui peut venir informer les gestionnaires publics.   

Quels sont les enjeux/thématiques/objets de recherche en EAM qui font actuellement l’objet d’une attention particulière par les chercheurs?

Pour moi, il y a deux façons de regarder les choses : il y a une espèce de lame de fond qui poursuit son travail, qui est loin d’être terminé, sur les objets qui font partie des préoccupations de l’EAM depuis les années 80, concernant l’autonomie critique des élèves dans des postures de réception face à l’info ou des médias en général. Comment développer une perspective critique par rapport aux médias et comment l’évaluer ? Comment évaluer l’efficacité des formes d’EAM qui permettent de développer cela ? Tout cela reste d’actualité, d’autant que certaines questions contemporaines renouvellent l’intérêt de ces approches, comme celles liées à la désinformation et à la mésinformation, qu’on a vite tendance à envisager en termes d’opposition entre le « vrai » et le « faux » sous le label un peu réducteur des « fake news ».

A côté de ça, on a des thématiques qui viennent renouveler ces questionnements traditionnels, au gré des mutations de la société et de la place que les médias y occupent. Un premier exemple concerne tout ce qui touche à la sociabilité en ligne, aux pratiques de production de contenu et de contribution à des communautés que le numérique a permis de développer. La recherche sur ces objets a progressivement pris une place de premier plan ces vingt dernières années. Un second exemple concerne l’intelligence artificielle, les formes d’automatisation des médias, de la production de contenu, de la recommandation de contenu, … Ce sont des sujets dont la recherche en EAM est en train de se saisir, et doit se saisir, car cela fait de plus en plus partie des expériences médiatiques quotidiennes de chacun.

Est-ce que l’expansion des réseaux sociaux et l’hyper médiatisation de nos sociétés ces dernières années ont eu un impact sur la recherche en EAM et le nombre de travaux ?

Oui, certainement, il y a une augmentation des travaux dans ce domaine mais c’est corrélatif à l’augmentation des travaux sur la communication et les médias en général. Le secteur de la communication et des médias s’est développé massivement ces dernières décennies et donc l’intérêt pour l’EAM également.