La parole à Hadja Lahbib

Publié par: Aude Lavry - - Publication: 28/03/2022 - Mise à jour: 28/03/2022 - Vues:

Hadja

 

 

Le CSEM a décidé de donner chaque mois la parole à un expert afin de se pencher sur une question d’actualité en lien avec l’éducation aux médias.

Ce mois-ci, la parole est à Hadja Lahbib, Vice-Présidente du CSEM et journaliste à la RTBF afin d'évoquer la désinformation qui entoure la guerre en Ukraine.

 

 

La propagande a toujours existé en temps de guerre mais la multiplication des outils numériques augmente la profusion d’informations et de désinformations. Dès lors, comment s’informer sur la guerre en Ukraine en évitant la désinformation ?

En choisissant les bons outils. Si vous essayer de faire entrer un clou dans une porte avec un tournevis, vous risquez d’être à côté de la plaque ! Les sources se multiplient peut-être mais la règle reste la même : toujours se demander d’où vient la source ? Qui parle ? Quel est le montage financier derrière le media consulté ?  Qui le détient ? Quels sont ses rapports avec le pouvoir politique, avec le pouvoir économique? La communication des informations en temps de guerre est une des armes les plus puissantes, de tous temps les belligérants tentent de la contrôler pour pouvoir ensuite manipuler l’opinion publique. Alors comment s’informer ? En cherchant l’information, cela demande une démarche proactive, ne pas tomber dans les infos faciles qui circulent sur les réseaux et nous « tombent » littéralement dessus sans effort. Multiplier les sources aussi permet d’entendre différents sons de cloche. Depuis la pandémie, tout un réseau complotiste répand de fausses informations, des individus se félicitent de tenir un discours alternatif, ce sont les mêmes qui dénonçaient le grand complot préparant une « dictature sanitaire » qui diffusent des informations qui intoxiquent l’opinion publique. Au début de la guerre en Ukraine, certains remettaient en cause la guerre en affirmant que les images diffusées étaient des archives de 2014. Des photos sont sorties de leur contexte, des montages grossiers remettent en cause la réalité… C’est un discours facile qui fait croire à ceux qui y adhèrent qu’ils sont plus intelligents que le public qui suit les médias « mainstream ». Et au final, ils servent la propagande de Vladimir Poutine. Il faut éviter de partager ces informations douteuses, non sourcées car elles deviennent virales. Des médias couvrent le conflit sur le terrain, avec des journalistes chevronnés, des spécialistes reconnus qui ont développé un esprit critique qu’ils mettent au service d’une réalité qu’ils veulent comprendre de façon objective, faisons-leur davantage confiance.

La plupart des médias ont mis en place des équipes dédiées à la vérification des sources, la RTBF a développé « Faky », la BBC « Reality Check », Le Monde « Les décodeurs »… Ce sont des professionnels qui travaillent sur le « Fact checking » et n’hésitent pas à dire parfois qu’ils se sont trompés ou qu’ils ont été manipulés. C’est dire la complexité de s’informer aujourd’hui, cela doit nous appeler à la vigilance et à la méfiance face à ceux qui affirment que tout le système est corrompu et qu’eux seuls détiennent la vérité.

Au-delà de la guerre militaire, il s’agit aussi d’une guerre d'information où la censure est massivement utilisée par la Russie (censure des réseaux sociaux, censure de la presse indépendante et internationale,….) L’UE a aussi décidé de censurer des chaines de propagande russes, comme Russia Today ou Sputnik. Assiste-t-on à une remise en question de la liberté d’expression ?

C’est Françoise Tulkens, ex- juge et vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme qui, au lendemain de la guerre et de la censure de ces médias russes disait sur nos antennes : « Il faut plus de discours et pas moins de discours ». Je suis assez d’accord, j’ai éprouvé un véritable malaise face à cette censure. C’est quelque part un aveu de faiblesse de ne pas vouloir entendre ces médias eux-mêmes soumis à une censure imposée par le pouvoir russe. Certains déploient beaucoup d’efforts pour faire le job malgré tout. Il y a eu cette journaliste qui a eu le courage de débarquer sur le plateau avec sa pancarte dénonçant la guerre. Même si cela n’a duré que quelques secondes, l’impact dans l’opinion publique a été énorme.  Un journal russe contrôlé par le pouvoir a lui décidé de laisser des blancs, bien visibles, lorsqu’il n’a pu développer une information à cause de la censure. C’est une forme de résistance comme une autre, c’est courageux et cela montre que même dans les médias russes, soumis à la menace (l’utilisation du terme guerre est punissable d’une peine de prison), il y a une résistance, la volonté d’informer malgré tout.

Alors que l’on sait que la plupart des jeunes s’informent essentiellement via les réseaux sociaux, comment l’éducation aux médias peut-elle aider à décoder la situation?

Les jeunes s’informent par les réseaux sociaux, les médias « mainstream » y sont de plus en plus présents. La RTBF est sur Tik Tok, Instagram, etc. Et c’est la meilleure façon de toucher les jeunes, de leur offrir une information fiable. Il faut personnaliser l’information, l’adapter au public visé. Les jeunes aiment faire confiance à des « influenceurs », il faut en tenir compte, incarner l’information. Cela m’amène à une autre réflexion, on oublie parfois qu’informer est un métier, que fournir une information fiable a un coût. Acheter un journal, s’offrir un abonnement en ligne à plusieurs sources d’informations est un bon départ ! Et télécharger les applications des médias contrôlés par une autorité morale comme le CSA… Enfin le CSEM développe (en partenariat avec Annoncer la Couleur-Enabel, Amnesty International et la RTBF) des fiches pédagogiques dédiées à des questions brûlantes d’actualité intitulées « Questions vives ». Elles sont diffusées et offertes aux enseignants qui peuvent s’en servir en classe. Développer un bon esprit critique, bien s’informer commence dès le plus jeune âge, je suis très favorable aux cours d’actualité en classe, à l’opération « ouvrir mon quotidien » qui va d’ailleurs s’étendre au numérique pour pouvoir toucher plus d’élèves, c’est une très bonne chose. L’Association des journalistes professionnels envoie aussi des journalistes en classe pour parler de l’actualité, de leur métier au quotidien… Toutes ces initiatives sont bonnes, mais il faudrait aussi généraliser les cours de décryptage de l’actualité.